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30 avril 2009 4 30 /04 /avril /2009 13:40

La foi d’une femme syro-phénicienne (Marc 7, 24-30 et Matthieu 15, 21-28) par Régis Pluchet (Le Mans). Version légèrement remaniée d'un texte écrit pour un numéro spécial du bulletin de Croyants en liberté Sarthe, mai 2003

" Partant de là, il s’en alla dans le territoire de Tyr. Etant entré dans une maison, il voulait que personne ne le sache, mais il ne put rester ignoré. Car aussitôt une femme, dont la petite fille avait un esprit impur, entendit parler de lui et vint se jeter à ses pieds. Cette femme était grecque, syro-phénicienne de naissance, et elle le priait d’expulser le démon hors de sa fille. Et il lui disait : " Laisse d’abord les enfants se rassasier, car il ne sied pas de prendre le pain des enfants et de le jeter aux petits chiens." Mais elle de répliquer et lui dire : " Oui, Seigneur ! et les petits chiens sous la table mangent les miettes des enfants ! " Alors, il lui dit : " A cause de cette parole, va, le démon est sorti de ta fille." Elle retourna dans sa maison et trouva l’enfant étendue sur son lit et le démon parti (Marc 7, 24-30, traduction de la Bible de Jérusalem).

C’est au groupe biblique de l’Eglise réformée du Mans que je dois la (re-)découverte de ce texte. A première lecture, il m’était apparu significatif d’entendre cette étrangère, une païenne, une femme qui plus est, qui ose répliquer à Jésus. Mais les paroles de celui-ci semblent bien mystérieuses. Bizarre : cette histoire d’enfants et de petits chiens. Là, on a besoin de l’exégèse pour comprendre : à l’époque de Jésus, ce sont des expressions habituelle pour désigner le peuple juif (les enfants) et les païens (les chiens, un terme quelque peu méprisant). Autrement dit Jésus rudoie cette femme. Mais la femme lui réplique aussitôt et Jésus se laisse toucher.

Si Jésus a des mots durs pour cette femme, c’est sans doute qu’il est las qu’on le sollicite, mais c’est peut-être aussi pour l’éprouver. Il vient de s’affronter aux Pharisiens, de remettre en question les notions de pur et d’impur, et même ses disciples avaient du mal à le comprendre. Sans doute a-t-il besoin de prendre un peu de recul vis-à-vis de la foule qui l’entoure. Il quitte la Galilée pour passer en terre étrangère (même s’il s’agit toujours d’une province romaine), en terre païenne. Mais voilà que même là on ne le laisse pas en paix. Même s’il a besoin de repos, la dureté des mots de Jésus me semble assez stupéfiante par rapport à l’image habituelle de compassion que l’on peut avoir de lui, lui que l’on présente sous un jour convivial, qui peut en découdre, certes, avec certaines autorités, mais qui respectent ceux qui viennent à lui, surtout s’ils souffrent.


la femme "Cananéenne", miniatures du Codex Egbert (vers 980), lien  

Mais en y réfléchissant, je crois que cette dureté montre bien son humanité. Contrairement à ce que l’on nous dit traditionnellement dans les Eglises, je pense que Jésus est un homme imparfait, qui fait des erreurs, qui a ses limites comme chacun(e) de nous. Ici, il se laisse aller à une expression peut-être compréhensible dans la bouche d’un autre homme, mais qui est presque méprisante et en tout cas digne d’un " macho " qui ne va pas s’en laisser conter par une femme. Mais celle-ci ne se démonte pas. Sa réponse, du tac au tac, en touchant Jésus, provoque chez lui une prise de conscience. Pour l’exégèse classique, cette histoire marque un tournant : désormais la prédication de Jésus ne s’adressera plus seulement aux Juifs, mais aura une portée universelle.

Je pense que l’on peut aussi l’envisager avec une autre perspective. Jésus comprend mieux sa mission. Autrement dit, il n’a pas su d’emblée quelle est sa mission. Il doute, il hésite, il se trompe sans doute parfois. Car il n’est qu’un homme et non pas un Dieu au sens où on nous l’a enseigné. Dans ce texte, il nous montre ses faiblesses d’homme, de rabbi un peu " macho ", mais aussi sa force intérieure quand il est pleinement homme, en accédant progressivement à une certaine intériorité qui révèle sa filiation divine. Peu après, ce sera d’ailleurs la Transfiguration, cette manifestation de sa divinité. Mais ce n’est pas, à mon avis, une divinité qui le met à part des hommes, mais la révélation de la divinité qui existe au fond de chacun(e) de nous. Rares sont les hommes et les femmes qui arrivent à vivre cette divinité dans une telle plénitude, au-delà des conditionnements, des émotions, des blessures. C’est d’ailleurs justement ce qu’il a enseigné auparavant (Marc 7, 14-23) : c’est tout ce qui emprisonne le cœur de l’homme qui est impur, et qui doit être dépassé.

Quant à cette histoire de démon qui a motivé la démarche de cette femme, je pense qu’on peut la comprendre à un niveau psychologique. Sa fille est en proie à un problème grave. Qui sait s’il ne s’agit pas d’un problème de relation avec sa mère ? En tout cas, je me demande si ce n’est pas la démarche de la mère qui a guéri la fille, plus qu’un pouvoir " magique " de Jésus (même s’il a aussi des capacités de guérisseur). Peut-être la fille est-elle guérie parce que la racine du problème venait de la mère et que la mère s’est elle-même guérie d’une blessure personnelle dont elle a su se libérer en osant s’adresser ainsi à Jésus et lui répliquer.

Régis Pluchet est membre de l'Assemblée fraternelle des chrétiens unitariens (AFCU) et représente cette association au sein du Conseil des unitariens et universalistes français (CUUF)

 

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